Du rififi à Hollywood
Du rififi à Hollywood
Metro-Goldwyn-Mayer Studios ©
Metro-Goldwyn-Mayer Studios ©
Hollywood circa 1930
Hollywood circa 1930
[...] Actuellement, donc, je suis lancé dans la limonade cinématographique en gros ! Un premier résultat important pour moi serait de redresser des finances compromises par toutes sortes d'excès au cours d'années passées, et je crois que l'Amérique pour cela me sera bien utile. Ensuite, acquérir un "métier" indispensable, une technique, et là encore les USA sont inégalables, les "best in the world".

[...] La M.G.M. vous le savez, je pense, ne jure plus que par les synchronisations. Ce mot barbare exprime l'opération du "doublage" par des voix françaises des voix des artistes américains pour vous offrir ainsi refondu une espèce de film projetable en France.
"L'Union des Artistes", organe des acteurs français, sous l'influence de quelques uns des artistes français récemment revenus de Hollywood, a interdit les "synchronisations" ... Cette mesure a été prise par "l'Union" sous le prétexte de protéger soi-disant la Production Française d'une invasion de "synchronisations" américaines, mais en réalité parce que les petits copains qui avaient palpé du dollar à Hollywood voudraient bien ne pas se voir couper l'herbe sous le pied et y retourner...
Car on paie ici beaucoup moins bien pour les "synchro" que pour les versions. Et, dame, les acteurs français n'aiment pas l'Amérique, mais ils aiment bien les dollars...

Ces mêmes acteurs clament que c'est s'abaisser que de faire une "synchro" alors qu'il est noble de faire une version. Quant à moi, je vous jure bien qu'il est aussi inintéressant de faire l'un et l'autre ! Entre le fait : de copier un film déjà fait au point d'avoir une Moviola sur le studio et que le réalisateur, avant chaque scène, se fasse projeter la scène correspondante du film américain pour bien copier le jeu, de se servir du même découpage, exactement, sans ajouter quoi que ce soit d'original, de donner les mêmes costumes du film américain aux acteurs français, les mêmes décors, etc… etc… et celui de faire enregistrer le dialogue seul pour coller exactement au film américain, il n'y a simplement qu'une manière différente de faire la décalcomanie, c'est tout, et l'une ou l'autre de ces manières de procéder ne se réclame pas plus de la création artistique, donc de l'Art tout court, l'une que l'autre.

[...] Qu'ils jettent [ces acteurs] bas le masque et disent franchement : les synchros ne paient pas, nous préférons malgré tout faire des versions, où, à tout prendre, d'abord on voit nos g...les (cabotins.!) et où nous palpons plus...

[...] Et de plus, il ne faut pas se tromper, c'est un travail qui est extrêmement difficile et délicat. Empoisonnant et insipide, mais très amusant au point de vue technique, rigolo à réussir comme un tour d'adresse. Le dialogue est "matché" comme on dit, c.a.d. exactement du même nombre de syllabes que le dialogue américain (puisque ce sont les acteurs américains qui parlent sur l'écran). Et même on matche les B, les P, les V, les O, les I, etc…etc... [...] Les pauses entre les phrases sont également respectées, enfin tout...
Les acteurs répètent devant un écran sur lequel on projette d'une cabine extérieure et silencieuse une séquence de scènes du film américain et les acteurs, sachant leur rôle par coeur, s'exercent à dire leurs rôles en synchronisme parfait avec les acteurs américains, sans oublier le "sentiment" nécessaire. L'opérateur de projection revient en arrière autant de fois qu'il est nécessaire et repasse les scènes dix, douze fois si nécessaire. Lorsqu'ils savent bien leur rythme, on répète la même opération en plaçant les acteurs devant trois ou quatre micros placés en s'éloignant des acteurs, et le "mixeur" est spécialement chargé de faire passer l'enregistrement d'un micro à l'autre (de l'éloignement au plus rapproché) suivant que les acteurs sur l'écran sont censés se rapprocher ou s'éloigner, ce qui donne l'impression que les voix font de même.
De plus les acteurs ont sur la tête un écouteur à un coté, connecté faiblement sur le sound-track du film sonore, qui, placé à 4 à 5 images en avant du film-image, permet à l'acteur d'entendre ainsi son signal de départ, car le son est si faible qu'il n'entend qu'un petit bourdonnement. Le tout dans le noir d'une salle de projection, bien entendu.
Le metteur en scène (!) est dans la cabine du son, voit le film et entend l'enregistrement dans le micro : il donne ses indications de là haut et donne ses OK.


[...] Pour moi je trouve les synchros bien insipides et inintéressantes et je me demande bien ce que le public dira lorsqu'on va lui présenter ces replâtrages hasardeux ? Je ne pense pas, malgré tout, que ce système des synchros puisse trouver un accueil triomphal et j'estime que dans six mois on reprendra des versions françaises à Hollywood mais sur des bases plus intelligentes que pour la première série déjà faite. Et peut-être feront-ils alors quelques films originaux ...

Hollywood, le 19 juin 1931




Dés 1929, pour préserver ses marchés à l'étranger, l'industrie hollywoodienne se mit à tourner des films en plusieurs versions (espagnol, allemand, hongrois…), rapidement imitée par l'industrie européenne. Parallèlement commencèrent les premières tentatives de doublage ("dubbing", "synchronization"), avec "Hallelujah!" de King Vidor (1929).
Mais la technique étant peu au point, les productions américaines préférèrent pendant assez longtemps tourner des versions en langues étrangères, véritables plagiats des versions originales.

Ce fut l'occasion pour de nombreux acteurs européens de débuter une carrière outre-atlantique. Charles Boyer, par exemple, fit de nombreuses versions françaises de films américains avant de devenir acteur à part entière dans des versions originales.

Ces versions étaient parfois tournées la nuit dans les mêmes décors et les mêmes mises en scène que la version originale par un metteur en scène étranger associé (tels Jacques Feyder ou Claude Autant-Lara), avec des acteurs de la même nationalité.

En 1930, Paramount ouvrit à Joinville son studio européen pour tourner des versions européennes de ses films américains. En quatre ans, environ 300 films y furent tournés dans toutes les langues d'Europe. La même année 1930, à Berlin, la UFA se lança dans la pratique des versions multiples.

Beaucoup de ces versions étrangères n'existent plus mais on connaît encore la version espagnole de "Dracula" (le réalisateur associé George Melford ne parlait pas un mot d'espagnol !), la version française du "Testament du docteur Mabuse" ou les deux versions anglaise et allemande de "L'Ange bleu", "The Blue Angel" et "Der blaue Engel".

Laurel et Hardy, irremplaçables, furent parmi les rares à interpréter phonétiquement eux-mêmes leurs propres rôles dans les versions étrangères de leur propres films, quand les seconds rôles étaient joués par d'autres acteurs. Ainsi Boris Karloff, le futur monstre de "Frankenstein", joua-t-il en français un second rôle dans "Sous les verrous", version française du célèbre "Pardon Us" de Laurel et Hardy.

Avec eux commença véritablement la technique du mixage où voix et musique purent enfin se mélanger, et ceci avant même que le doublage, prôné par la M.G.M dès 1931, ne viennent briser net les espoirs des acteurs européens de faire carrière aux Etats-Unis. Dorénavant ils ne seraient plus que des voix anonymes et les versions doublées seront enregistrées dans le pays auxquelles elles sont destinées.
 / Écrire un commentaire