Un homme universel par le coeur, d'une grande modestie, et dont la personnalité humaine tirait de son non conformisme son caractère typique et quasi symbolique.
Quelques mois avant sa disparition, il m'avait confié avoir fait une expérience passionnante, révélant en terme savant, d’après la pensée de l'écrivain Édouard Glissant, le caractère biface d'une écoute archipélique.
« Poser l'oreille contre un coquillage, c'est se donner à entendre tout un océan. Le bruit coloré afflue et reflue en vagues interminables enserrées dans l'espace nacré et étroit. Pourtant, c'est un en-dehors qu'on perçoit, un espace ouvert. L'oreille porte l'auditeur au loin. L'impression de mer atteste de la tangibilité d'un son prisonnier d'une conque. C'est bien le son de la mer qu'on entend à travers le coquillage. Une telle écoute n'expose pas pour autant un son océanique. Elle révèle au contraire des territoires parsemant l’océan, des territoires en archipel. » in François J. Bonnet, Les mots et les sons, un archipel sonore, Éditions de l’éclat, Paris 2012
Ainsi Pierre Gamet m'expliqua :
« J'avais emmené avec moi un petit enregistreur PCM-D50 au parc Montsouris et j'y ai enregistré un moment tous les sons qui se trouvaient là : les voitures qui passaient, les chiens, les gens. Je n'en pensais rien de particulier puis je l'écoutais assis chez moi. J'en ai pris une section, une section de trois minutes et demie, la durée d'un single. Et j'ai décidé de l'apprendre en l'écoutant sans cesse, c'est ballot !
Chaque fois que je disposais d'un peu de temps, je me le repassais en essayant de l'apprendre comme on le ferait d'une pièce de musique : ah oui, cette voiture qui fait accélérer son moteur, les tours-minute montent et puis ce chien qui aboie, et après tu entends un pigeon sur le côté.
C'est un exercice extrêmement intéressant à faire, avant tout parce que je me suis rendu compte qu'on peut l'apprendre. Quelque chose d'aussi décousu et arbitraire que ça, après un nombre suffisant d'écoutes, devient hautement cohérent.
Tu parviens vraiment à imaginer que ce truc a été construit d'une certaine façon. Ok, alors là il met ce petit truc là et ce motif arrive au même moment que ce machin.
Excellent ! Depuis que j'ai fait cela, je suis capable d'écouter beaucoup de choses tout à fait différemment. »
Chez Pierre, c'était l'écoute répétée, l'apprentissage du donné à entendre qui venait générer des structures, augmenter les détails, rendre audible des sons ignorés et dresser à la fois un séquençage et une cartographie de sa prise de son; non pas sous l'autorité de structures existantes qu'il aurait découvertes, mais sous celle de sa propre administration.
Voilà pourquoi Pierre était un grand, un très grand ingénieur du son qui a porté haut pendant de nombreuses années la qualité de la prise de son française.
« L'oreille, à la mesure d'une telle écoute, s'inquiète, se rassure, tisse des rapports d'intimité avec l'inconnu ou forge un savoir à travers le langage. L'oreille est fragile. Elle est sous influence. »
DC Audiovisuel vous souhaite d'heureuses fêtes de fin d'année en famille et entre amis, ainsi qu'une étincelante nouvelle année 2013 !
Merci à David Airob et Pascal Chantier pour leurs magnifiques photographies de Pierre.
Quelques mois avant sa disparition, il m'avait confié avoir fait une expérience passionnante, révélant en terme savant, d’après la pensée de l'écrivain Édouard Glissant, le caractère biface d'une écoute archipélique.
« Poser l'oreille contre un coquillage, c'est se donner à entendre tout un océan. Le bruit coloré afflue et reflue en vagues interminables enserrées dans l'espace nacré et étroit. Pourtant, c'est un en-dehors qu'on perçoit, un espace ouvert. L'oreille porte l'auditeur au loin. L'impression de mer atteste de la tangibilité d'un son prisonnier d'une conque. C'est bien le son de la mer qu'on entend à travers le coquillage. Une telle écoute n'expose pas pour autant un son océanique. Elle révèle au contraire des territoires parsemant l’océan, des territoires en archipel. » in François J. Bonnet, Les mots et les sons, un archipel sonore, Éditions de l’éclat, Paris 2012
Ainsi Pierre Gamet m'expliqua :
« J'avais emmené avec moi un petit enregistreur PCM-D50 au parc Montsouris et j'y ai enregistré un moment tous les sons qui se trouvaient là : les voitures qui passaient, les chiens, les gens. Je n'en pensais rien de particulier puis je l'écoutais assis chez moi. J'en ai pris une section, une section de trois minutes et demie, la durée d'un single. Et j'ai décidé de l'apprendre en l'écoutant sans cesse, c'est ballot !
Chaque fois que je disposais d'un peu de temps, je me le repassais en essayant de l'apprendre comme on le ferait d'une pièce de musique : ah oui, cette voiture qui fait accélérer son moteur, les tours-minute montent et puis ce chien qui aboie, et après tu entends un pigeon sur le côté.
C'est un exercice extrêmement intéressant à faire, avant tout parce que je me suis rendu compte qu'on peut l'apprendre. Quelque chose d'aussi décousu et arbitraire que ça, après un nombre suffisant d'écoutes, devient hautement cohérent.
Tu parviens vraiment à imaginer que ce truc a été construit d'une certaine façon. Ok, alors là il met ce petit truc là et ce motif arrive au même moment que ce machin.
Excellent ! Depuis que j'ai fait cela, je suis capable d'écouter beaucoup de choses tout à fait différemment. »
Chez Pierre, c'était l'écoute répétée, l'apprentissage du donné à entendre qui venait générer des structures, augmenter les détails, rendre audible des sons ignorés et dresser à la fois un séquençage et une cartographie de sa prise de son; non pas sous l'autorité de structures existantes qu'il aurait découvertes, mais sous celle de sa propre administration.
Voilà pourquoi Pierre était un grand, un très grand ingénieur du son qui a porté haut pendant de nombreuses années la qualité de la prise de son française.
« L'oreille, à la mesure d'une telle écoute, s'inquiète, se rassure, tisse des rapports d'intimité avec l'inconnu ou forge un savoir à travers le langage. L'oreille est fragile. Elle est sous influence. »
DC Audiovisuel vous souhaite d'heureuses fêtes de fin d'année en famille et entre amis, ainsi qu'une étincelante nouvelle année 2013 !
Merci à David Airob et Pascal Chantier pour leurs magnifiques photographies de Pierre.