C'est le premier long métrage de Éric Rohmer, presque achevé, jamais sorti en salle, il a disparu ! Nul ne sait ce qu'il est advenu des précieuses bobines. Ont-elles été détruites par leur auteur insatisfait ou reposent-elles dans un grenier de l'Eure où le tournage s'est déroulé ?
Le 30 octobre 1952, Maurice Schérer signe le contrat de production de son premier long-métrage. Il s'associe avec Guy de Ray et Joseph Kèkè dans la nouvelle société de production CPPC dont le siège est à Montreuil (clin d'oeil à Georges Méliès). Joseph Adjignon Kèkè est un étudiant de 24 ans venu du Dahomey dont la fortune familiale provient de plantations de palmiers à huile dans son pays (la colonie du Dahomey est plus tard devenue le Bénin).
Découverte dès son enfance, Éric Rohmer a une tendresse toute particulière pour la comtesse de Ségur, rohmérienne avant l'heure dans ses titres, un de ses recueils s'intitulant Comédies et proverbes. À moins que ce ne soit l'inverse !
Le film est en participation, équipe et matériel technique réduits, acteurs peu connus, décor naturel, tournage dans l'ordre du scénario... Cette profession de foi anticipe bien les tournages ultérieurs du cinéaste.
La constitution de l'équipe technique échappe complètement à Rohmer, il doit se soumettre aux stricts règlements du CNC qui impose Pierre Guilbaut comme conseiller.
Celui-ci choisit Jean-Yves Tierce comme chef opérateur, André Tixador comme cadreur, André Cantenys comme premier assistant, Bernard Clarens au son et Sylvette Baudrot comme scripte, tous possesseurs du sésame qu'est la carte professionnelle quand Rohmer eût préféré ses copains, qui n'en étaient pas titulaires, Rivette à l'image, Godard comme assistant.
Le tournage ne se passe pas bien, Rohmer rencontre rapidement d'assez grosses difficultés. Les accrochages avec l'équipe sont fréquents, il est contraint d'accepter des compromis qu'il juge néfaste et ne compte guère d'alliés sur le plateau.
Rivette, Truffaut et surtout Godard passent à plusieurs reprises sur le plateau, cela n'arrange pas les choses. Un jour la machine à écrire de la scripte disparaît, Godard l'a subtilisée pour la revendre, Sylvette Baudrot est furieuse. L'ambiance sur place s'en ressent.
Le film parvient cependant à son achèvement après 52 jours de tournage. Jean Mitry et son assistante Cécile Decugis monte le film entre janvier et février 1953. Il ne reste alors que peu de travail, la musique, la finition du montage son et le mixage. Encore un bon mois et le film d'une heure vingt environ sera fini.
C'est alors que le coproducteur, futur béninois, Joseph Kèkè, bloque le film. Il décide de ne plus investir un centime dans l'entreprise, aucune solution financière ne peut être trouvée. Pourtant la somme manquante est mince.
Sans doute existe-t-il une autre explication à l'abandon soudain et définitif des Petites Filles modèles.
Joseph Kèkè avait rencontré une strip-teaseuse dans un cabaret qu'il fréquentait à Pigalle. Il lui propose alors un rôle dans le film en préparation.
Refus de Éric Rohmer ! Une bagarre éclate dans le cabaret, la danseuse est molestée, giflée, a une dent cassée. Elle dépose plainte contre Kèkè et réclame deux millions (d'anciens francs) de dommages-intérêts. Joseph Kèkè engage un de ses professeurs comme avocat, Robert Badinter, de quatre mois son benjamin. Un non-lieu est prononcé, acquittement.
Yé Ké Yé Ké © Mory Kanté - 1987 Est-ce l'explication aux déboires si soudains du film de Éric Rohmer : un coproducteur aux prises avec la justice ? Ou sa famille au Dahomey en avait-elle peut-être assez de lui envoyer de l'argent et lui aurait intimé d'arrêter les frais ?
Rentré après ses études dans son pays, Joseph Kèkè fut le premier ministre de la justice de la nouvelle République de Dahomey après son indépendance en 1960. Plusieurs fois ministre et député, il a été le père fondateur du Rassemblement national pour la démocratie au Bénin.
Il vient de tirer sa révérence ce 1er juillet 2017 à l'âge de 89 ans. Il est parti rejoindre Éric Rohmer en emportant peut-être avec lui Les petites filles modèles, film érotique de Jean-Claude Roy sorti en salle en 1971.
Le 30 octobre 1952, Maurice Schérer signe le contrat de production de son premier long-métrage. Il s'associe avec Guy de Ray et Joseph Kèkè dans la nouvelle société de production CPPC dont le siège est à Montreuil (clin d'oeil à Georges Méliès). Joseph Adjignon Kèkè est un étudiant de 24 ans venu du Dahomey dont la fortune familiale provient de plantations de palmiers à huile dans son pays (la colonie du Dahomey est plus tard devenue le Bénin).
Découverte dès son enfance, Éric Rohmer a une tendresse toute particulière pour la comtesse de Ségur, rohmérienne avant l'heure dans ses titres, un de ses recueils s'intitulant Comédies et proverbes. À moins que ce ne soit l'inverse !
Le film est en participation, équipe et matériel technique réduits, acteurs peu connus, décor naturel, tournage dans l'ordre du scénario... Cette profession de foi anticipe bien les tournages ultérieurs du cinéaste.
La constitution de l'équipe technique échappe complètement à Rohmer, il doit se soumettre aux stricts règlements du CNC qui impose Pierre Guilbaut comme conseiller.
Celui-ci choisit Jean-Yves Tierce comme chef opérateur, André Tixador comme cadreur, André Cantenys comme premier assistant, Bernard Clarens au son et Sylvette Baudrot comme scripte, tous possesseurs du sésame qu'est la carte professionnelle quand Rohmer eût préféré ses copains, qui n'en étaient pas titulaires, Rivette à l'image, Godard comme assistant.
Le tournage ne se passe pas bien, Rohmer rencontre rapidement d'assez grosses difficultés. Les accrochages avec l'équipe sont fréquents, il est contraint d'accepter des compromis qu'il juge néfaste et ne compte guère d'alliés sur le plateau.
Rivette, Truffaut et surtout Godard passent à plusieurs reprises sur le plateau, cela n'arrange pas les choses. Un jour la machine à écrire de la scripte disparaît, Godard l'a subtilisée pour la revendre, Sylvette Baudrot est furieuse. L'ambiance sur place s'en ressent.
Le film parvient cependant à son achèvement après 52 jours de tournage. Jean Mitry et son assistante Cécile Decugis monte le film entre janvier et février 1953. Il ne reste alors que peu de travail, la musique, la finition du montage son et le mixage. Encore un bon mois et le film d'une heure vingt environ sera fini.
C'est alors que le coproducteur, futur béninois, Joseph Kèkè, bloque le film. Il décide de ne plus investir un centime dans l'entreprise, aucune solution financière ne peut être trouvée. Pourtant la somme manquante est mince.
Sans doute existe-t-il une autre explication à l'abandon soudain et définitif des Petites Filles modèles.
Joseph Kèkè avait rencontré une strip-teaseuse dans un cabaret qu'il fréquentait à Pigalle. Il lui propose alors un rôle dans le film en préparation.
Refus de Éric Rohmer ! Une bagarre éclate dans le cabaret, la danseuse est molestée, giflée, a une dent cassée. Elle dépose plainte contre Kèkè et réclame deux millions (d'anciens francs) de dommages-intérêts. Joseph Kèkè engage un de ses professeurs comme avocat, Robert Badinter, de quatre mois son benjamin. Un non-lieu est prononcé, acquittement.
Rentré après ses études dans son pays, Joseph Kèkè fut le premier ministre de la justice de la nouvelle République de Dahomey après son indépendance en 1960. Plusieurs fois ministre et député, il a été le père fondateur du Rassemblement national pour la démocratie au Bénin.
Il vient de tirer sa révérence ce 1er juillet 2017 à l'âge de 89 ans. Il est parti rejoindre Éric Rohmer en emportant peut-être avec lui Les petites filles modèles, film érotique de Jean-Claude Roy sorti en salle en 1971.